Départ : Cadaqués (5 m)
Longueur : 1150 km
Denivelé : 31000 m
Sommets associés : Grande Traversée des Pyrénées
Topos associés
Sortie du jeudi 15 août 2019
Conditions terrain
De tout...
Compte rendu
Iti suivi : Topo, sauf la première étape: Argelès - Pic Neulos - Las Illas - Marçanet de cabrenys
Jour 1: Argelès - Marçanet de Cabrenys; 60 km; D+: 1600m
La veille, départ de chez moi en vélo jusqu'à la gare de Tournay (à coté de Tarbes) et train jusqu'à Argelès sur mer; pas de gréve, juste un petit retard de 30 mn à Toulouse qui ne m'a même pas fait rater ma correspondance; la routine, quoi... Nuit en Airbnb et départ matinal (7h), grand beau, ça commence bien.
Ca se gâte un peu dans la montée au dessus de la Vallée Heureuse sur une piste chaotique et qui monte, la bougresse !
Au refuge de la Tanyarède, ça se calme et ça déroule tranquillement sur de bonnes pistes horizontales (globalement, hein...); c'est beau et facile, je me dis que cette traversée des Pyrénées, ça va être du gâteau ! Ca se re-gâte au Perthus pour des raisons esthétiques (c'est moche, ça pue et y'a un embouteillage de la mort-qui-tue sur la Nationale; avantage, ça se traverse facile, les voitures ne roulent pas. Ca re-déroule tranquille jusqu'à la Collada Morrella, et là, je me dis que ça va pas être si simple finalement, il y a de sales nuages coté espagnol; mais ça descend très vite par une petite route.
Il commence à pleuvoir quelques minutes après que je me sois mis à l'abri dans un petite hôtel de ce charmant village catalan. Ambiance sympa, je m'achète des pêches et une glace, les vacances, quoi ! Mais comme je suis chargé comme un bourrique, je sors mon repas de ma sacoche: ce soir, couscous, saucisson, fromage.
Jour 2: Marçanet de Cabrenys - Oix; 71 km; D+: 1600 m.
L'étape est qualifiée de "tranquille" dans le guide, je ne suis pas inquiet mais je pars tôt quand même, on est en Espagne et encore très bas en altitude, entre 150 m et 1000 m, il peut faire chaud. Je n'ai pas de carte, je navigue avec le road book (qui s'avère assez pratique), j'ai la trace GPS et j'allume le GPS quand j'ai un doute, c'est à dire assez peu, ça économise la batterie. Le terrain paraît très compliqué, des petites vallées partout dans tous les sens et du coup, je ne sais jamais vraiment où je suis. La trace n'emprunte que très peu de routes, beaucoup de pistes et quelques sentiers; j'ai l'impression d'être largué en pleine nature sans savoir si dans les prochains kilomètres je vais aller vers l'Ouest ou vers le Sud, j'avance, je fais confiance et traverse des régions vraiment belles et surtout sauvages; je ne rencontre personne de la journée sauf au passage d'un ou deux villages.
Puis vient le morceau de bravoure de l'étape, le col de Riu: montée de 15 km et 700 m de dénivelé. Toute la montée se fait sur une piste assez roulante, seuls les derniers mètres m'obligent à pousser. Le coin semble toujours aussi sauvage, beaucoup de forêts et pas une seule route ni de village à l'horizon. La descente démarre sur un petit single, puis une bonne piste rapide et roulante me descend à une prairie, assez rare dans ces coins. Puis la pente s'accentue et je m'aperçois que je vais plonger dans une profonde vallée assez encaissée; je m'enfonce maintenant dans des gorges creusées dans du calcaire au fond desquelles coule un torrent; j'entends des cris: des canyoneurs nagent dans des vasques, ça a l'air vraiment sympa. Un peu plus bas, trois maisons, un camping, c'est Sadernes, il y a une petite activité touristique; malgré tout le resto du camping est fermé le mercredi et on est mercredi.
Mais quelques km de route plus loin, à l'ombre sous des grands arbres, que vois-je ? Un autre petit resto! J'ai déjà faim, il fait déjà bien chaud, je m'arrête 1h et goûte les patatas de la Garoxta; et oui, je suis en Alta Garoxta !
Puis je reprends la route et très vite une série de pistes qui finissent par m'amener à Oix; il est 17h, j'ai mis 9h alors que le topo disait 6h, ça promet... J'imagine qu'il s'agissait de 6h de roulage mais quand même, il va falloir que j'accélère la cadence ! Finalement je m'arrête au camping qui a l'air plutôt sympa. Ca l'est, mais il faut savoir que les espagnols dinent vers 21 h et que le repas dure. Je dois m'endormir vers 23 h, et demain je repars tôt, l'étape est qualifiée de difficile et le topo donne 7h15, tout un programme !
Jour 3: Oix - Ribes de Freser; 73 km; D+: 2060 m
Le topo avait prévenu: le début est dur ! Effectivement, ça monte: ça roule, puis très vite ça pousse. les pistes sont caillouteuses et parfois très abimées, la moyenne s'en ressent mais on monte et on dépasse même les 1000 m. Les lieux sont toujours aussi sauvages, personne; la forêt se fait moins dense, il y a maintenant quelques prés encore bien vert et des vaches. Puis arrive une belle descente sur des sentiers ou des pistes un peu plus herbeuses et du coup moins cassantes.
Puis on traverse Camprodon, un gros village un peu plus touristique avec un magnifique pont à une arche qui enjambe le Ter. Je m'arrête 1/2h le temps d'un petit café croissant avant la grosse montée du jour: 1000 m de dénivelé d'abord sur un peu de route, puis sur piste. A la fin du goudron au village de Tregura de Dalt, une fontaine salvatrice me fait m'arrête à nouveau quelques instants: il fait très chaud, la fontaine est à l'ombre et il reste encore 600 m de dénivelé sous le soleil, il est midi. Un vttiste me rejoint, il est un peu chargé (moins que moi) et on voit qu'il est parti pour plusieurs jours. On discute un peu, il est sur le même itinéraire que moi et il m'explique qu'hier, il a fait une étape de plus de 100 km. Il part un peu avant moi, je le double une heure après et ne le reverrai jamais.
Les nuages prennent de l'ampleur, l'altitude augmente et plus ça va, mieux ça va ! Je me retrouve vers 2000 m sous un plafond de nuages assez menaçants et il fait finalement plutôt frais. La piste ondule maintenant à peu près horizontalement aux alentours de 2000 m, je suis dans les alpages au dessus des forêts, c'est magnifique surtout dans cette ambiance sous ce ciel un peu menaçant.
S'ensuit une longue descente sur une bonne piste puis un petit single bien technique qui m'oblige parfois à descendre de vélo; enfin, 4 km de goudron m'amène à Ribes de Freser, petit bled sans trop de charme mais les hôtels n'y sont vraiment pas chers...
Jour 4: Ribes de Freser - Méranges; 77 km, D+: 2666 m.
Encore une étape qualifiée de difficile dans le topo; c'est vrai que le kilométrage et le dénivelé ne font pas rire... Du coup, je pars très tôt, il fait nuit. Je remarque que le ciel est couvert et que sol est mouillé ce qui m'étonne, je croyais la météo correcte pour aujourd'hui; de fait, une grosse averse me surprend 30 secondes après mon départ. Mon moral descend d'un cran, j'enfile la gore tex et je roule. Dix minutes plus tard, l'averse s'intensifie au moment où j'arrive devant une vieille entrée de mine au bord de la piste: le trou fait 1.50m de haut et guère plus de 1m de large, je m'y enfile néanmoins en pensant que c'est peut-être glauque mais que j'ai quand même de la chance puisque je suis à l'abri ! Heureusement, ça se calme et même, un coin de ciel bleu apparaît: je repars !
Plus loin, le road book indique qu'il faut quitter la piste pour un sentier qui descend à gauche mais je ne vois rien et continue; un peu plus loin un doute m'assaille et je sors le GPS: je ne suis plus sur la trace !
Je reviens 1 km en arrière, la trace part bien à gauche mais je ne vois rien sur le terrain; je m'engage néanmoins sur la trace pour entrevoir un reste de vieux sentier envahi par la végétation; ça ne sent pas la surfréquentation cette affaire ! J'insiste, le sentier se fait un peu plus clair malgré quelques arbres en travers qu'il faut contourner ou enjamber, et devient même intéressant. Finalement, c'est un très beau passage qui me descend sur un petit bled, Planoles.
La suite devient plus technique et physique puisqu'il faut suivre le fameux GR 11 sur une assez longue traversée ascendante. S'ensuit une longue ascension sur piste qui me monte très haut, au dessus des forêts où la vue s'élargit vers la Sierra de Cadi au Sud et le Carlit au Nord; il fait finalement très beau, c'est magnifique. Je vois maintenant la haute plaine de Cerdagne où je vais descendre. Ça a l'air beau mais il va falloir traversée Puigcerda qui vue d'ici a l'air très moche. Mais bon, quand j'y arrive, il fait faim et je trouve facilement un plat de pâtes qui me requinque: il est déjà 15h et j'ai encore une remontée de 800 m (plus les faux frais) avant de redescendre sur Méranges, vive les pâtes !
Cette dernière remontée est fatigante, parfois même assez technique sur un vieux chemin de transhumance (un cami ramader comme on dit par ici). Il commence à être tard, la lumière de fin d'après-midi est magnifique avec ces quelques nuages qui viennent un peu encombrer le ciel; une belle descente sur piste, puis une dernière remontée pas négligeable à cette heure là , et j'aperçois enfin Méranges au loin, le village où j'ai l'impression que je n'aurai pas le courage de monter la tente... Il n'y a qu'un hôtel, charmant, pas cher et je m'y pose, assez fatigué; il est 19 h et ça fait 13 h que je suis parti. Le guide indique 7h30, j'ai explosé l'horaire, on va dire que c'est parce que je suis chargé... D'ailleurs, je me décharge en piochant dans mon stock de vivre: ce soir, couscous, saucisson, fromage, comme d'hab....
Jour 5: Méranges - St Joan Fumat ; 80 km; D+: 2060 m
Méranges est à 1500 m et il ne fait pas chaud le matin; mais en vtt on se réchauffe vite ! Pendant toute la première moitié, on roule à flanc de montagne au dessus de la Cerdagne et face à la sierra de Cadi entre 1500 m et 1800 m; c'est très varié avec des passages un peu plus techniques au passage d'un vallon assez raide sur un joli sentier. Puis 5km de goudron permettent d'arriver au refuge Cap del Rec: il s'agit en fait d'une petite station de ski nordique et le refuge est plutôt sympa, du moins à cette heure encore un peu matinale (pour les espagnols...). Une petite omelette me permet de me reposer et de me requinquer un peu, déjà pas loin de 30 km dans les pattes.
La suite se déroule sur une très bonne piste qui monte doucement vers 2200 m et qui s'y maintient longtemps; les vues sont superbes mais nous sommes samedi et il y a quand même quelques voitures sur cette piste ce qui est dommage; mais bon, j'avais qu'à passer là en semaine ! A partir du refuge Prat Miro la piste se fait plus raide et beaucoup moins bonne, du coup je retrouve la tranquillité.
S'ensuit une descente dans un beau vallon suivi d'une chaude remontée: je suis en versant Sud et l'après-midi étant bien avancé, ça chauffe ! Cette dernière montée de 400 m me paraît bien longue et au col de Sarset, la pause s'impose; ça tombe bien, le panorama est immense, et le ciel est encombré de jolis cumulus qui ont le bon goût de faire baisser un peu la température.
C'est le début d'une très longue descente de 1300 m sur la vallée de la Valira, malheureusement entièrement sur piste. La piste est d'ailleurs très bonne et ça a au moins le mérite de descendre vite. Je me retrouve donc rapidement vers 840 m où un obstacle inattendu m'attend: il faut traverser une grande route où toutes les voitures qui montent vers l'Andorre sont au pas. Je m'échappe le plus vite possible et m'engage dans une petite vallée latérale qu'il faut remonter pendant 4 km jusqu'à St Joan Fumat, petit hameau qui me semble bien tranquille. J'y trouve un grand gîte où je suis seul, c'est royal, pas cher du tout et je m'y installe à l'abri de la chaleur. Le soir, je peux y faire réchauffer mon couscous en toute tranquillité ! Aujourd'hui, je n'ai mis que 10 h pour cette étape qui était vendu par le guide en 7h30: en progrès !
Jour 6: St Joan Fumat - Arestui; 66 km; D+: 2200 m
C'est l'étape sauvage par excellence: je n'y ai vu personne, je n'ai jamais vraiment su où j'étais (puisque je n'avais pas de carte), même à l'arrivée dans ce hameau perdu et accroché à flanc de montagne. Ça démarre tranquille sur une petite route; comme je me méfie des horaires du topo, je pars de nuit: sur le goudron, ça ne pose ps de problème. Le jour se lève sur le village perdu de Civis, puis c'est parti pour un festival de pistes qui montent, qui descendent, qui traversent de vallées en vallées. Petit à petit, je ne sais plus d'où je suis parti et je ne sais où j'arriverai.
Vers midi, j'arrive au "passage clé" de l'étape d'après le topo: le coll de Cap d'Urdossa; il faut porter. J'enlève la sacoche avant que je mets sous le bras, et c'est parti vélo sur le dos que je tiens donc d'une seule main... Ça avance, et d'ailleurs je le trouve bien long ce col... J'allume je GPS pour me rendre compte que je suis parti pour le Cap d'Urdossa, j'ai quitté la trace ! Donc, ça porte pas si mal... Retour sur la trace (à pied, c'est raide) et j'enquille la descente qui est bien technique avec pas mal de cailloux qui roulent dans tous les sens; mais bon, c'est du vtt, on va pas se plaindre.
Plus bas, je retrouve une piste qui me descend interminablement sur la profonde vallée de la Noguera Paillaressa qui commence à me paraître infernale car à chaque épingle, il fait un peu plus chaud. Je me retrouve à Llavorsi, petit bled au fond de la vallée vers 800 m, et y fait pas froid. Mon premier souci est de trouver un bistrot (aucun souci) pour boire un truc frais, mais pas une bière car -et c'est mon deuxième souci- je dois remonter encore plus de 300 m et faire 11 km pour atteindre Arestui; vous voyez pas où c'est ? C'est normal, moi non plus...
Je finis par y arriver vers 17h: d'après le bouquin, il y a un gîte sympa et c'est vrai: je suis accueilli dans une maison fraîche, il y a un grand jardin à l'ombre; tout ça dans un petit village où il doit y avoir plus de chats que d'hommes, accroché à la montagne, un petit paradis. Je suis seul, les hôtes me préparent un repas pantagruélique: j'avais déjà perdu quelques kg pendant la traversée des Alpes avec Patricia, et depuis 6 jours j'en ai perdu encore quelques un... Bref, j'ai tout le temps faim.
Jour 7: Arestui - Montgarri; 75 km; D+: 2200 m
J'avais prévu depuis le début de ne pas faire l'étape 8 du topo qui est en fait une boucle entre Bagergue et Vielha via le col de Varrados et que j'ai déjà fait plusieurs fois. Je sais donc que je n'aurai que 2200 m de dénivelé et que 75 km: ce n'est pas vraiment du repos mais ça va quand même être plus tranquille. Je pars donc tranquille en sifflotant, de nuit quand même à la fois parce que je sais qu'il va faire chaud aujourd'hui, et aussi parce qu'on ne sait jamais... La piste est longue mais agréable, je m'élève petit à petit dans l'aube naissante, je vois émerger au loin vers l'Est les montagnes où je suis passé il y a plusieurs jours déjà et c'est une moment étrange et agréable où je prends conscience que j'avance et que je suis bien en train de traverser les Pyrénées.
Il fait très beau, pas encore trop chaud d'autant plus que me voilà maintenant à plus de 2200 m, sur le bord du massif des Encantats. Comme son nom l'indique, c'est un massif granitique merveilleux que je ne connais qu'en ski de rando mais qui est parai-il magnifique l'été surtout à cause de ses nombreux lacs et de son altitude déjà élevée. Je l'avais aperçu hier avant de plonger sur la Noguera Paillaressa, et il m'était apparu comme un bloc, nettement plus haut que les autres massifs. malheureusement, je sais que c'est inroulable et que mon itinéraire ne fait que l’effleurer.
Le paysage reste splendide et j'en profite car je vais maintenant plonger sur la station de ski d'Espot que je ne connais pas mais que je devine moche, comme toutes les stations de ski. Mais je ne fais qu'y passer et comme ça descend, je n'y reste pas longtemps. Plus loin, une assez longue partie en single bien sympa me permet de descendre et de traverser la Noguera Paillaressa, puis de la remonter par une petite route tranquille jusqu'au refuge del Fornet; il est 15h, je m'y arrête un instant et demande à tout hasard s'il n'y aurait pas moyen de manger des pâtes: c'est possible et cette halte devient du coup très sympathique !
Je repars pour les 15 derniers km sur une bonne piste qui remonte la haute vallée de la Noguera Paillaressa jusqu'à sa source, le Pla de Béret. Et j'arrive à Montgarri. Ah, Montgarri ! Le refuge est situé dans l'ancien presbytère qui a été remarquablement restauré, à coté de l'église elle aussi restaurée et en très bon état. A part ces deux bâtiments, il ne reste plus rien de ce qui fut un grand sanctuaire mais on y sent encore l'esprit souffler, surtout quand le soir tombe et que les touristes sont partis. Il faut dire que la beauté des lieux aide et c'est pourquoi je voulais y dormir à nouveau.
Jour 8: Montgarri - Aneto: 45 km; D+: 1300 m.
Étape de repos aujourd'hui, d'autant plus que j'ai prévu de m'arrêter un moment à Vielha pour refaire un peu de ravito et me décharger des 500 g du guide "Cadaques-Vielha" dont je n'ai plus besoin mais que je veux conserver et de diverses bricoles dont je n'ai pas vraiment besoin, dont la doudoune à laquelle j'ai vraiment l'impression d'avoir fait faire 600 km et 16000 m de D+ pour rien !
Donc, je pars tard: 7h. Il fait jour, beau, et en débouchant au Pla de Béret je découvre l'Aneto (et son glacier rachitique) et le massif de la Maladetta. S'ensuit une très belle descente sur sentier jusqu'à Bagergue , puis je file par un peu de route et des sentiers le long de la Garonne naissante jusqu'à Vielha. Il y fait chaud, je cherche la poste pour m'envoyer mon colis, de quoi refaire mon stock de couscous (mais pas que quand même...), remplacer ma casquette qui s'est envolée il y a 2 jours et que j'ai vu pour la dernière fois emportée par le courant de la Noguera Paillaressa, bref, que des choses pas très marrantes mais néanmoins indispensables.
Et je m'échappe le plus vite possible pour retrouver ma trace et ma route. En l'occurrence, ça monte et y fait chaud, très chaud ! La trace évite complètement les routes et s'élève par des pistes jusque vers 1500 m avant de redescendre sur le tunnel de Vielha qu'il va falloir traverser. J'ai un peu d’appréhension à cette perspective, la seul chose qui me plait là-dedans c'est que je vais y être à l'ombre un moment...
Donc, j'arrive à l'entrée du tunnel en me demandant à quelle sauce je vais être mangé; apparemment et d'après le topo, les vélos n'y sont pas interdits, c'est déjà ça... Je remets mon casque, accroche ma petite frontale rouge clignotante à mon sac à dos, et m'élance. Je ne suis pas encore vraiment entré dans le tunnel quand j'entends une voix sortant d'un interphone surpuissant et qui me dit quelque chose, mais en espagnol; la voix insiste, j'hésite un peu puis continue, on verra bien ! Il y a quand même pas mal de trafic avec des camions, je juge plus prudent de rouler sur le trottoir. Le vacarme est assourdissant et on entend les véhicules approcher plusieurs dizaines de secondes avant qu'ils arrivent soit en face, soit derrière. Je ne vais pas très vite parce que ça monte: le tunnel fait plus de 5 km de long et monte de 200 m; en voiture on ne s'en rend pas vraiment compte mais en vélo, si. Il y a 3 voies: 1 voie pour les véhicules descendants et 2 pour les montants avec des feux rouge et verts. Je m’aperçois au bout de quelques minutes que la voie de droite vient de passer au rouge, il ne reste plus qu'une voie pour monter; c'est mauvais signe, je suis repéré ! De fait, j'entends une voiture qui me colle et roule à ma vitesse, pas vite... je n'en mène pas large quand la voiture vient à ma hauteur et que le passager me crie que je n'ai pas besoins de rouler sur le trottoir, je peux rouler sur la voie de droite. Et je comprends qu'il s'agit d'une voiture de la patrouille du tunnel qui me protégera pendant toute la traversée ! Je me détends, je suis en sécurité et en plus il fait frais; malgré le vacarme, tout va bien ! De fait, à la sortie du tunnel les occupants de la voiture me font un petit signe de la main, me doublent et disparaissent. Je me retrouve un peu étourdi dans le silence, au soleil et malgré les 200 m supplémentaires il fait à nouveau très chaud. J'étais pas si mal dans le tunnel !
Je reprends mes esprits, et ma trace qui descend maintenant par des sentiers pas toujours faciles (et même quelques chaudes remontées comme toujours dans les descentes !) jusqu'au village d'Aneto. Il est 14h, j'avise une sorte de resto/cantine où des ouvriers viennent manger: je me dis qu'il y aura sûrement des pâtes, gagné !
En sortant, je suis accablé par la chaleur et de gros vilains cumulus ont vraisemblablement envie de se transformer en cumulonumbus en lâchant quelques goutes; d'après mon topo il y a ici un petit hostal rural sympathique. Il y a une chambre de libre, je craque. Quelques minutes plus tard, je me retrouve à poil sous une douche froide et d'un seul coup, tout va mieux !
Jour 9: Aneto - Castejon de Sos; 58 km; D+: 1900 m.
Le topo est clair: "c'est une des étapes les plus exigeantes de la traversée"; bon, ben on va partir tôt alors ! De nuit, comme d'habitude, c'est d'autant plus facile que ça commence par 6 km de petite route, donc pas besoin de voir clair. Quand j'arrive à la bifurcation pour la piste, il fait déjà bien jour. la montée au col de Salinas est en fait une montée classique pour qui est habitué au Vélo De Montagne: de la piste, raide certes, mais ça roule; puis un peu de poussage, et même pas de portage ! Donc, ça passe tout seul. Mon inquiétude vient d'ailleurs: une petite note au bas du guide dans les pages concernant cette étape met les gens en garde "Mucha precaucion con el ganado"; mes connaissances en espagnol étant ce qu'elles sont, je me suis mis dans la tête qu'il s'agissait de chiens sauvages; d'ailleurs justement, j'entends des cris bizarres: chien enroué, mouton malade, âne qui s'étrangle ? Je ne vois rien et les cris semblent toujours provenir du même endroit, cet animal, chien sauvage ou pas, ne bouge pas, je laisse momentanément tombé le "ganado". S'ensuit une superbe descente à moitié sur petites sentes et à moitié free ride qui m'amène dans une zone où broute des centaines de vaches: c'est là que j'ai l'illumination, le ganado, c'est le bétail !
Puis arrive le morceau de bravoure de l'étape: le col de Basibé et son long portage; "1h 15 en marchant bien" précise le topo... Effectivement, il faut porter; j'utilise ma technique déjà éprouvée: sacoche avant sous le bras, et vélo sur la sac maintenu d'une main. En fait, il y a quelques zones où on peut pousser le vélo, cependant ça reste physique; mais ça ne sera jamais aussi dur que le franchissement -lors de notre traversée des Alpes avec Patricia il y a quelques semaines- de la partie raide (200 m) du col des Prés Nouveaux avec deux vélos chargés; il avait fallu décharger les vélos, porter les deux vélos, tous les bagages, je crois que c'était le portage le plus dur de ma vie. Donc le col de Basibé à coté, c'est facile !
La descente de l'autre coté est un peu décevante puisqu'elle se déroule sur des pistes dans la station de ski de Cerler; cependant je suis content que ça aille vite car le temps tourne à l'orage; d'ailleurs les vues promises sur l'Aneto et les Posets ne sont pas au rendez-vous. Je me repose néanmoins quelques instants assis à coté du vélo; en touchant machinalement la roue arrière, je m'aperçois que je viens de casser un rayon; pas grave, Castejon de Sos est la capitale du VTT, je trouverai facilement ce soir de quoi réparer. J'y arrive d'ailleurs assez vite après de très beaux passages sur sentiers (balisés vtt d'ailleurs), le tonnerre gronet il pleut très fort en face, il était temps ! Une fois de plus je me réfugie dans un hôtel puis me mets en quête de magasin de vélo: rien ! Plusieurs personnes me confirment que ne trouverai rien sur place, c'est d'autant plus grave que sur la fin de la descente, j'ai cassé deux autres rayons, ma roue est en train de partir en sucette ! Je me maudis d'avoir oublié de prendre des rayons de rechange et passe une mauvaise nuit.
Jour 10: Castejon de Sos - Puyarruego: 90 km; D+: 1400 m.
j'ai un peu réfléchi à la faveur de mes insomnies: je vais tenter d'aller à Benasque (15 km de Castejon par la route et 200 m de D+, en fait 25 km de déroutement) où il y a un magasin de vélo. Comme ça n'ouvre qu'à 9h, pas la peine de se lever tôt... Ça ouvre effectivement à 9h mais pas l'atelier qui ouvre à 13h; je demande à voir les rayons: pas compatibles avec ma roue de 26 pouces Mavic; donc c'est mort et je redescends vers Castejon pour récupérer l'itinéraire, ma seul chance est d'aller à Ainsa (à 15 km d'Escalona en fin d'étape), là je sais que je trouverai à me dépanner; il faut donc que ma roue tienne jusque la-bas... Au début, ça monte mais je regarde quand même tous les 1/4 d'heure où en est ma roue; jusque là, ça va.
Au col de Sahun, descente sur piste, exceptionnellement ça me va bien. Puis la trace quitte la piste pour un beau sentier: je regarde encore une fois ma roue, elle a l'air de tenir, va pour le beau sentier ! Plus bas, ça devient carrément très beau mais bien technique, la roue semble encaisser. Puis le sentier devient très difficile à suivre malgré la trace GPS et un peu plus loin, le sentier s'interrompt: il y a une marche de 10 m de haut complètement infranchissable sauf en rappel; le petit barranco dans lequel passait l'itinéraire a été complètement ravagé par une crue, il n'y a plus de sentier ce qui explique pourquoi il n'y avait plus de balisage et pourquoi ça devenait impossible à suivre. Donc je remonte 50 m et avise un sentier qui semble descendre dans la bonne direction; mais je n'ai pas de carte et ne peut donc savoir si c'est bon ou pas. Tant pis, je descends; et ce qui devait arriver arriva: le sentier s'arrête aux abords de quelques vieilles granges. J'insiste un peu, pas de chemin en aval, ces granges ne s'atteignaient que depuis le haut. je vois sur le GPS que la trace n'est pas loin, à 100 m à peine mais de l'autre coté du torrent: il faut le traverser. Je pars en éclaireur sans vélo et sans sac et finis par trouver un passage possible en portant le vélo. Je me détends un peu et remarque que les lieux sont vraiment magnifiques: un petit torrent coule de vasques en vasques, le rocher est lisse, propre; il n'y a évidemment personne puisque je suis nulle part et bien vite, la baignade s'impose ! Pour prendre pied dans une petite vasque de 1.50 m de profondeur, je pose le pied sur un gros bloc tout rond; le bloc glisse instantanément au fond de la vasque et moi avec; je m'accroche au rebord lisse de la vasque, suffisamment pour ralentir ma chute et que le bloc tombe au fond de la vasque sans m'écraser. Grosse frayeur, je comprends que je viens d'échapper à une mort bête: écrasé par un bloc et noyé dans une vasque en faisant du vtt, y'a plus glorieux... Bon, maintenant que je suis dans l'eau et mouillé, autant en profiter un peu !
Puis je remonte tout mon barda (sacs + vélo) de l'autre coté du torrent, retrouve la trace et continue ma descente désormais facile. Mais tout ça m'a pris du temps, je suis parti tard, et je n'oublie pas que j'ai une roue malade et qu'il me faudra peut-être un peu de temps pour réparer: je décide vers Saravillo de rejoindre Escalona par la route, soit 25 km. Il fait chaud, c'est pas drôle mais je n'ai pas vraiment le choix... J'arrive vers 16 h au camping de Puyarrego, j'y laisse tout mon barda et je pars vers Ainsa, encore 15 km. Je sais où est le magasin de vélo et quand j'arrive devant l'atelier, la porte s'ouvre comme par miracle: j'y entre en vélo, j'ai à peine le temps de descendre de vélo que le mécano me demande: "qu'est ce qui t'arrive ?" ; je lui explique; "j'en ai pour 20 minutes, va manger 3 tapas en attendant !". Un grand merci à ce mécano qui m'a tiré une sacrée épine du pied !
Ne reste plus que 15 km pour remonter à Puyarrego, monter la tente, manger mon couscous favori, puis gros dodo et bonne nuit !
Jour 11: Puyarruego - Broto: 50 km; D+: 1600 m.
Démontage de la tente de nuit, et départ très matinal: il a fait très chaud la veille et c'est prévu très chaud et orageux aujourd'hui. L'itinéraire est particulièrement esthétique et je le connais en grande partie pour l'avoir fait il y a 14 ou 15 ans. La remontée de la partie basse du canyon d'Anisclo est spectaculaire: la route se faufile -tout comme la rivière- entre les parois très resserrées du canyon et sa remontée à cette heure matinale -donc fraîche et sans circulation- est très agréable, d'autant plus que la pente est faible.
Plus haut, il faut quand même appuyer un peu sur les pédales pour rejoindre Nérin, très beau village remarquablement situé en balcon entre les canyon d'Anisclo et le massif du Mont Perdu. La lumière est superbe ce matin et j'en suis très content car je sais que je vais avoir des vues formidables sur le canyon d'Ordesa; j'aurais pu passer là un jour de mauvais temps avec nuages et ça aurait été dommage. Du coup, je m'octroie un petit café à l'hôtel situé à l'entrée du village; puis je poursuis ma montée qui s'avère être encore pas mal ombragée ce qui est très appréciable car dès que je passe vraiment au soleil un peu plus haut, il fait déjà assez chaud malgré l'altitude.
Il me semble distinguer deux vélos assez loin devant; je rattrape assez vite un couple de Barcelonais qui traversent eux aussi les Pyrénées sur le même itinéraire que moi mais qui sont partis hier d'Escalona; papotage, échange d'impressions, c'est très sympa. Puis je les laisse filer pour m'arrêter au premier mirador sur la canyon d'Ordesa, à 10 mn à pied. La vue est toujours aussi belle et impressionnante surtout avec ce beau temps; il me vient des idées de balades à pied et d'ascension du Mont Perdu tout proche mais je n'ai pas vraiment le temps... Je m'arrête quand même beaucoup pour admirer les vues plongeantes sur le canyon, avant de quitter cette piste où commencent à affluer les 4X4 officiels qui trimballent les touristes jusque là-haut , la piste étant fermée à toute autre circulation automobile. je parviens au point haut de l'étape, le Cuello Bazias Cutas.
La trace descend maintenant par des pistes et sentiers et suit exactement -ce dont je ne suis pas peu fier !- l'itinéraire que j'avais exploré il y a 15 ans avec Patricia, époque où les informations sur la roulabilité des sentiers n'existaient pas. C'était la grande époque des défrichages plus ou moins heureux...
Le début est facile sur piste puis on descend par le Camino de la Cana, assez technique avec quelques courts passages à pied (attention en cas de terrain humide) mais l'ensemble est agréable. On arrive directement et assez brutalement dans Broto; il n'est que 14h et je ne suis pas vraiment fatigué mais il fait vraiment très chaud et je n'ai pas le courage de continuer; je fais halte au camping.
Jour 12: Broto - Castiello de Jaca; 70 km; D+: 1850 m.
Comme d'habitude, je pars tôt car je crains qu'il ne fasse aussi chaud qu'hier. Ça démarre tranquillement avec un profil plutôt descendant et finalement, il fait presque frais. Puis le tracé se complique: il faut quitter une excellente piste pour un sentier qui se transforme bientôt en vague sente qui bute sur un torrent qu'il faut traverser. En face, un très vieux sentier qui commence à être envahi par la végétation permet de remonter (en poussant le vélo un bon moment) sur une petite route. Comme je n'ai toujours pas de carte, je ne comprends pas très bien pourquoi c'est si compliqué mais je n'ai pas d'autre choix que de suivre. Ce n'est que plus tard à la maison en reconstituant le parcours que je comprends qu'ainsi, on évite un très grand détour sur goudron. Pour le moment, je peste un peu mais je suis la trace.
Je suis dans un versant Nord, toujours à l'ombre et il fait encore frais, la suite est donc très agréable: c'est toujours une suite de pistes qui épousent les flancs d'un vallon, puis qui changent d'orientation, de vallée, qui traverse des villages abandonnés, bref très vite je me sens à nouveau agréablement perdu. je finis par monter au dessus de la forêt et déboucher sur de vastes estives dégagées au collado de Tres Cruces: les vues se dégagent, je vois maintenant au loin le massif du Mont Perdu où j'étais encore hier et la Pena Oturia, mon prochain objectif; la piste y grimpe et je la suis, au soleil mais il ne fait toujours pas chaud, on n'est clairement pas dans la même masse d'air qu'hier (c'est rien, c'est mes vieux réflexes d'ancien météo qui refont parfois surface). Là haut, la vue est extraordinaire dans cet air bien transparent et frais; une grande partie des Pyrénées se dévoile aujourd'hui depuis ce belvédère: le Mont Perdu, la Sierra Tendénera, la Sierra Partacua, le Pic du Midi d'Ossau (Jean-Pierre pour les intimes)) et une foultitude d'autres montagnes inconnues pour moi.
la descente est à la hauteur du paysage: sentier, piste, et surtout un superbe sentier balisé vtt me descend sur la vallée de Tena. J'arrive assez tôt au village de Larres, fin de l'étape "officielle". Il est 13h, il ne fait pas trop chaud, je continue. La suite, c'est le Collado de Garcipollera; je ne suis plus que vers 1500 m d'altitude et la température n'a pas baissé depuis tout à l'heure, la montée est chaude ! Mais les vues sont belles sur la Sierra Partacua maintenant toute proche. La descente s'effectue de l'autre coté sur une bonne piste dans des espaces sauvages: aucun village à l'horizon, même Castiello de Jaca reste invisible. Je finis quand même par y arriver: j'y trouve une petite épicerie pour me ravitailler un peu, un camping où je décide de m'arrêter surtout pour profiter de la douche. Il fait toujours très beau et pas trop chaud, mais demain ça va changer me prévient la gérante du camping: pluie et orage au programme !
Jour 13: Castiello de Jaca - Hecho: 55 km; D+: 2000 m.
Il fait nuit quand je démonte la tente mais il a plu par moment cette nuit et on voit bien que ça ne fait que commencer. Je pars néanmoins sur ce parcours de crêtes où je me doute qu'il ne vas pas faire super beau. Pour le moment il ne pleut pas et il fait frais, c'est presque agréable.
Puis ça se gâte sérieusement: forte pluie sous laquelle je suis trempé en quelques minutes, par chance je passe près d'une cabane: je m'arrête à tout hasard car dans ce coin toutes les cabanes sont fermées, miracle, pas celle-là ! Mais j'ai vite froid et je repars quand j'entends que la pluie baisse d'un cran. Je n'aurais peut-être pas du: la pluie redouble de violence, le tonnerre s'approche, bientôt la foudre vient claquer vraiment pas loin. Je continue à rouler sur une piste qui monte et qui a tendance à se transformer en ruisseau puis en torrent; il y a beaucoup de bruit: le vent dans les arbres, le crépitement de la pluie et de la grêle sur ma gore tex, la foudre, je n'en mène pas large. Mais c'est un autre bruit qui m'alerte vraiment, un nouveau bruit d'eau: je lève le nez sur ma droite vers la pente pour voir arriver sur moi plusieurs torrents qui descendent à travers les arbres; il faut que je sorte du thalweg où je suis, l'issue la plus proche semble être vers le haut et je m'arrache de là sur le vélo que j'ai failli abandonner dans la panique. Je ne regarde pas trop d'où je viens, un nouveau torrent a envahi la piste et c'est très démoralisant; je continue à monter. Ça me réchauffe d'autant plus qu'il fait maintenant très froid, l'orage est en train de passer et la foudre s'éloigne mais le vent se renforce; heureusement que je suis en forêt ! Je pense un instant que si j'avais un pépin mécanique (crevaison ou autre) maintenant, je serai incapable de réparer, j'ai si froid aux doigts que je ne peux même pas enlever mon casque...
Maintenant ça descend: je m'habille au maximum (c'est à dire que je mets ma polaire sous ma gore tex trempée) et je repars; je sais que 4 ou 5 km plus bas, je vais trouver un camping où je pourrai me poser un peu. Je descends doucement à cause du vent de la vitesse mais je finis par arriver au camping; la dame du camping a vu l'orage comme moi et elle comprend très vite ce dont j'ai besoin, un chocolat chaud par exemple; je le déguste avec mon casque sur la tête parce que je ne peux toujours pas l'enlever... Elle m'annonce une excellente nouvelle: il ne devrait plus pleuvoir aujourd'hui ! Et de fait, le temps s'améliore et on voit même un coin de ciel bleu. Je repars au bout d'une heure, finalement pas besoin d'enlever le casque puisque ça continue à descendre...
Il fait frais mais comme ça remonte bientôt, tout va mieux. J'avais envisagé de couper au plus court pour rejoindre Hécho, mais finalement je poursuis sur la trace. Un très beau passage à Loma Cotin puis une belle descente par une piste et un très joli sentier m'amène à Aragués del Puerto charmant petit village aragonais doté d'une chouette auberge rustique; il n'est que midi: c'est donc l'heure de l'apéro en Espagne et je me commande un bon paquet de tapas.
La suite est magnifique sous le soleil revenu; il semble d'ailleurs n'avoir presque pas plu ici, le terrain est sec et il fait chaud puisque je suis sur un sentier montant avec pas mal de poussage. Les lieux sont à nouveau très sauvages, les sentiers peu parcourus et assez encombrés de végétation avec pas mal d'épineux qui me font craindre des crevaisons, mais non, toujours rien ! La dernière descente sur Hécho se fait sur un très vieux sentier visiblement plus trop parcouru, j'arrive au village entre de vieux murs de pierre sèche sans trop voir où passe vraiment la roue avant, mais ça passe. Je me sens un peu éprouvé par l'orage de ce matin où j'ai eu vraiment peur un moment; le temps n'a pas l'air au mieux de sa forme, un vent frais et soutenu descend de la frontière au Nord vers le Visaurin, je me pose dans un hôtel ma fois fort sympathique.
Jour 14: Hécho - Roncevaux; 115 km; D+: 2300 m.
Je compte aujourd'hui rattraper un peu mon retard de la veille et je pars de nuit, comme d'habitude, d'autant plus que ça commence par 4 km de route où je n'ai donc pas besoin d'y voir clair. Le jour se lève au bout du goudron, timing parfait ! Je me retrouve très vite dans des coins sauvages et même abandonnés, de même que le sentier qu'emprunte la trace; je suis d'ailleurs prévenu: il faut être très attentif au road book au moment de quitter un sentier peu entretenu pour monter à pied sur un sentier pas entretenu (en gros). Évidemment je me plante et c'est un des endroits où le GPS est quasiment indispensable; donc après quelques errements, je retrouve ma route et mon semblant de sentier où je pousse vaillamment mon vélo; et c'est là que je crève, même pas sur le vélo: les voies du seigneurs sont impénétrables...
Ce qui n'est pas impénétrable, c'est ma chambre à air que j'inspecte attentivement: il fait beau, pas de vent et je peux écouter l'air fuir par trois trous au moins; les épineux d'hier bien sûr. Du coup, je décide de changer de chambre, j'en ai deux de rechange, pas inquiet le gars... Mais bachi bouzouk et mille sabords! La valve fuit, une chambre à air toute neuve achetée tout exprès chez Décathlon avant le départ! Rien d'autre à faire que d'utiliser ma dernière chambre à air de secours; du coup je n'ai plus de rechange et vu le nombre d'épineux dans la région je trouve plus prudent de réparer mes trois crevaisons maintenant: il fait beau et si l'orage d'hier se reproduit (on n'est pas à l'abri d'un coup de chance....) je serais incapable de réparer. Je répare, je teste, ça a l'air bon mais je me sens à poil avec une seule chambre de secours réparé par mes soins certes, mais sait-on jamais...
Je repars à coté du vélo (qui ne roule pas tout seul) après avoir perdu un temps considérable, une bonne heure. La suite est superbe sur un bon sentier puis une piste en balcon panoramique. Il faut la quitter pour un sentier très technique (un bon T4) qui plonge sur Anso; à chaque choc, je prie pour que mon pneu et ma chambre tiennent le coup, ce qu'ils font vaillamment jusqu'en bas. Anso est un village typiquement aragonais: le pays semble rude, et vue la taille des cheminées aragonaises (superbes d'ailleurs), on sent qu'il peut y faire froid; d'ailleurs il ne fait pas chaud, il y a du vent et en descendant j'ai vu au loin vers la frontière avec la France et la Navarre des nuages qui ne me disent rien qui vaille... Je cherche et trouve une épicerie où je me ravitaille un peu; en sortant de l'épicerie un vttiste m'aborde: "vous n'auriez pas une pompe à haute pression ? Non vous n'avez pas, je demande à tout hasard..." (tout ça en espagnol bien sûr mais je fais des progrès chaque jour). Grosse surprise du gars quand je lui réponds que si, j'ai ! Ses yeux s'éclairent et il m'aurait peut-être embrassé... Il regonfle sa fourche tandis que je lui demande si par hasard, il n'aurait pas une chambre à air 26 pouces pour pneu de 1.8 à 2.3 en petite valve: il a ! Mes yeux s'éclairent et je l'aurais bien embrassé ! Je me contente de le prendre en photo, l'instant est tellement magique, dans un bled perdu aux confins de l'Aragon et de la Navarre ! C'est ça les voyages: on est dans la merde, et une rencontre improbable plus tard, tout s'arrange comme par miracle.
La Navarre, j'y vais justement, c'est là où je voyais les nuages s’amonceler... J'y arrive assez vite par une longue portion montante de goudron (15 km, la plus longue portion de toute la traversée); ce sont des nuages qui dégueulent du Nord des Pyrénées, il doit faire vilain en France. Bientôt il bruine, puis il pleuviote, rien de méchant mais il ne fait vraiment pas chaud. Au col d'Arguibiela, un beau sentier se présente, que j'enfile allègrement malgré un terrain un peu humide; ça y est, je suis en Navarre avec le temps qui va avec !
J'arrive à Isaba sur les coups de 13h, la bonne heure pour trouver à manger en Espagne ! Petite halte bien sympathique dans un genre de Bistrot de village tenu par une dame qui ne doit pas souvent s'en laisser compter... Enfin, le croque monsieur était bon. Il fait un temps de Navarre, c'est à dire presque un temps basque, il pleuviote, il y a un peu de soleil, bref pas de quoi fouetter un chat et je décide de continuer mais en shuntant une partie décrite comme difficile et à éviter par temps humide ce qui est le cas aujourd'hui; et puis j'ai assez donné comme ça ce matin... Du coup, ça me fait 10 km de goudron de plus mais aujourd'hui, je veux avancer.
Je trouve ça finalement assez fatiguant, peu varié malgré un beau paysage et un temps qui semble momentanément s'arranger, et puis ça fait mal aux fesses... Mais j'avance. Arrivé au Collado Ollokia, je me sens dépaysé: tous les panneaux sont écrits en étranger ! Pardon, je veux dire: en Basque ! Hé oui, ça y est, je viens de passer une frontière invisible mais bien réelle. Je descends maintenant dans un forêt profonde, la forêt d'Irati (en basque, en français c'est Iraty). Petite fatigue au col d'Iraty (pardon: Irati) pas bien long, 150 m de dénivelé mais qui me paraît interminable: ça veut dire que j'ai faim et que je dois me poser un peu.
Puis ça n'en finit pas de monter, de descendre, d'enfiler des vallées perdues et sauvages, de tomber parfois au détour d'une piste sur une magnifique ferme basque. Le temps est maintenant franchement basque lui aussi: il pleuviote pas mal. Ça commence à faire long et j'avise une belle grange bien propre loin de toute habitation qui ferait bien l'affaire pour la nuit. J'hésite un peu, je me repose, il ne pleut plus et il ne reste que 13 km pour arriver à Roncevaux; va pour Roncevaux ! J'y arrive par une suite de très beaux passages parfois physiques (les pentes sont raides sur les pistes basques) et sous une pluie maintenant soutenu. Il est 19h30, je m'engouffre dans un gîte à pèlerins (y'en a plein): il y a de la place, banco ! L'ambiance est cosmopolite, plutôt sympa et mon couscous réchauffé sur mon petit réchaud à alcool solide me semble excellent ! Il y a du chauffage dans la chambre et tout le monde trouve ça bien; moi aussi.
Jour 15: Roncevaux - Kondendiakago lepoa (sous la Rhune); 73 km; D+: 1200 m.
Brouillard le matin, il fait frais et humide mais ça démarre en montée. J'arrive vite sur la même trace que la Grande Traversée du Pays Basque faite l'année dernière; j'en suis très content car j'avais trouvé ce passage en descente dans la haute vallée des Aldudes magnifique. Mais aujourd'hui, l'ambiance est différente: il ne fait pas chaud et revoir des endroits où j'avais eu si soif me paraît un peu surréaliste ! Des brumes d'évaporation s'élèvent au dessus des clairières et dans le fond des vallées, je roule au cœur d'une carte postale.
A Urepel, je m'arrête boire un petit café et je suis étonné d'entendre parler français: et oui, je suis en France pour quelques instants ! S'ensuit une montée extrêmement sévère sur route: je n'avais jamais vu un tel pourcentage: 23% d'après le topo ! Chargé comme je suis, impossible à monter sur le vélo... Mais c'est quand même très efficace et je me retrouve rapidement au col de Berderitz, à nouveau en Espagne. Quelques très beaux sentiers, dont un bien technique au fond d'un vallon humide m'amènent à Erraztu, village typiquement basque, encore une carte postale.
Puis la trace me conduit sur des crêtes magnifiques d'où je vois pour la première fois l'océan: un brin d'émotion, la dernière fois que j'ai vu la mer, c'était il y a 15 jours à Argelès. Très souvent pendant cette traversée, je me parlais à moi même, me disant le plus souvent: "calme toi, pas trop vite, l'océan est encore loin !" Et aujourd'hui, il n'est plus si loin que ça, je le vois.
De cols en cols, de pistes en sentiers, de vallées en vallées, sans jamais m'ennuyer tant le Pays Basque est beau, j'arrive à Etxalar, fin de l'étape. Il est 17h, je ne suis pas fatigué, il fait beau, je continue. Bien m'en prends; à la faveur des lumières du soir, la suite est encore plus belle, en particulier le passage en balcon entre les cols de Lizarrieta et Lizuniaga. J'y retrouve la trace de la Grande Traversée du Pays Basque pour la montée sous la Rhune, dernier sommet des Pyrénées avant l'océan. Un petit col encore ensoleillé, une magnifique petite prairie, de l'eau pas loin, c'est décidé je m'arrête là pour bivouaquer, on va dire que c'est l'heure.
Jour 16: Kondendiakago lepoa (sous la Rhune) - Hendaye; 27 km; D+: 350 m.
Beau temps mais grosse humidité dans la nuit, la tente trempée à doublé de poids: 2 kgs ! C'est pas grave, je suis presque arrivé; mais je me sens un peu triste car c'est déjà presque fini.
Sur la plage d'Hendaye, je devrais être heureux mais je me sens perdu au milieu de tous ces baigneurs. Qu'est ce qu'ils font là ? Qu'est ce que je fait là moi-même ? Le voyage est fini, je dois redescendre sur terre. Il faut plusieurs jours pour s'installer dans un voyage, peut-être une semaine, ça dépend de chacun; et je n'ai pas du tout envie d'arrêter. Il y a eu des moments de grâce pendant cette traversée, des moments où j'avais l'impression que je pourrais rouler comme ça toute ma vie. Bien sûr c'est faux, ce n'est qu'une parenthèse, une illusion maintenue longtemps par l'adrénaline et l'état légèrement second dans lequel on se trouve quand on voyage; mais c'est bien là tout ce qui fait la différence entre une simple balade à la journée et une traversée au long cours comme celle-là. Cet état second que l'on cherche tous, il faut du temps pour le trouver, s'y installer, et c'est ce temps qui en fait toute la richesse. Le temps, c'est le maître mot; il contient l'idée de la mort puisque nous sommes mortels; mais que serait la vie sans la mort, et sans le temps ?