Départ : La Pierre-Saint-Martin (1600 m)
Longueur : 190 km
Denivelé : 6000 m
Sommets associés : La Rhune Palombières d'Etxalar Col d'Ibardin
Topos associés
Sortie du vendredi 19 novembre 2021
Compte rendu (par Mika)
Je prends enfin le temps de publier un CR de la traversée du Pays basque réalisée en fin d'été dernier (du 23 au 27 août).
Cette traversée n'est en fait que la dernière partie d'une traversée intégrale du massif pyrénéen par la Haute Route réalisée entre le 10 juillet et 26 août (traversée réalisée pour un quart de la durée et quasi la moitié des kilomètres parcourus en VTT BUL, le reste a été parcouru à pied). Lire le CR de la première partie (Pyrénées Orientales) réalisée à VTT ainsi que le CR complet de la traversée pour ceux que ça intéresse.
Je décris d'ailleurs en introduction ici et là les spécifications de cette traversée et la façon dont nous l'avons construite.
Venons-en maintenant à nos moutons (avec le lait desquels se fait l'Iraty !) : la traversée du Pays basque en un peu plus de 4 jours, depuis la Pierre-Saint-Martin jusqu'à Hendaye en passant par le versant sud du Pic d'Orhy, Iraty, Roncevaux, la vallée des Aduldes, Elizondo et le sommet de la Rhune.
J1 : De la Pierre-Saint-Martin à Iraty
l'itinéraire que nous avions programmé se tient très près de la crête frontalière, qui sur ce tronçon est bien individualisée et qui festonne grosso modo entre 1500 et 2000 mètres d'altitude. C'est le Pays basque des montagnes.
Étonnamment, après la Pierre-Saint-Martin, la Haute Route Pyrénéenne qui file vers l'ouest en direction du Pays basque ne propose pas mieux que de suivre pendant une douzaine de km la route goudronnée qui franchit le col de la Pierre-Saint-Martin et descend ensuite en bordure d'une très belle et vaste zone karstique qui occupe, versant espagnol, la pointe nord de la Navarre. Les cartes ne montrent aucune alternative à ce trajet routier si l'on souhaite poursuivre ensuite sur les crêtes. Bon, dans ces circonstances, on est d'autant plus heureux d'être à nouveau sur nos bikes.
On franchit donc le col frontalier de la Pierre-Saint-Martin dans une purée de pois manifestement assez caractéristique du secteur. Versant espagnol, la route sinue dans le karst. Dommage que le brouillard nous empêche de jouir pleinement de ces paysages qui semblent superbes. Après être descendus de 350 m d'altitude, on sort du brouillard et on quitte enfin la route pour poursuivre par le GR12. Ici, les chemins sont souvent étroits et creusés car empruntés par le bétail, ce qui limite malheureusement un peu leur intérêt. Après un gros mois de marche, il faut dire qu'on peine un peu à reprendre nos marques sur les vélos. Et puis on est chargé comme des bourricots... On roule, on pousse, on porte pour atteindre le Collado de Gimbeleta.
La pente sous le collado (petit col) de Gimbeleta est un poil raide et le GR 12 n'est visible que par les coups de pinceaux blancs et rouges donnés de-ci delà : pas de trace au sol, on descend plus ou moins droit dans la pente mi-herbeuse, mi-caillouteuse, à faible vitesse pour éviter les trous que dissimulent les herbes, le cul bien en arrière de la selle pour tenter de contrecarrer le poids importants des sacs à dos.
J'entends un cri déchirant : Sylvie vient de chuter lourdement une trentaine de mètres derrière moi. Elle est à terre quand je me retourne. Je comprends immédiatement qu'elle s'est vraiment fait mal. Elle est encore au sol et a des difficultés à recouvrer ses esprits quand j'arrive auprès d'elle. Elle sait qu'elle est blessée mais le boost d'adrénaline ne lui permet pas encore de comprendre s'il s'agit de simples contusions ou si quelque chose est cassé.
En italique, l'incident et ses conséquences vus et racontés par Sylvie
"Alors que nous roulons à présent en traversée sur un sentier particulièrement étroit, nous regrettons rapidement d'avoir succomber la veille à la tentation de dévaliser l'épicerie. Nous estimons le poids de nos sacs à plus de 13 kg. Non mais, n'importe quoi ! Chacun s'emploie donc à compenser les déséquilibres, en bougeant sur le vélo avec l'aisance d'un play mobile. J'entends Mika fulminer et rejeter la faute sur quelques tomates, deux trois pêches et un pauvre reste de pastèque que nous avions renoncé à abandonner dans une poubelle avant notre départ.
Je réajuste mon sac puis je m'engage dans une pente raide et herbeuse pour rejoindre Mika déjà 50 mètres en aval.
Ma petite voie tente de m'avertir : "Oh là méfie-toi, il y a des trous cachés sous les..."
Trop tard. Ma roue avant est tombée dans le piège.
Je sens la roue arrière décoller inexorablement, sans doute bien aidée par une intempestive et malencontreuse pression de mon index sur le frein avant. Je tente de réagir. Mais comme un malheur n'arrive jamais seul, je perçois dans mon dos quelque chose de pesant (13 kg environ) qui me pousse vers l'avant... Je suis en train de passer par-dessus le cintre et visualise une dalle plate que je vais sans doute parvenir à esquiver. Mais une fraction de seconde plus tard, je pousse un cri d'effroi devant la forte probabilité de voir ma tête finir aplatie comme un Poster contre un gros bloc, posté en embuscade 3 mètres en contrebas. Malgré une vaine tentative de ma main droite pour amortir la chute, je m'échoue lourdement au sol, dans le petit intervalle herbeux séparant la dalle et le rocher. Ippon! J'ai juste le temps de lever les bras pour me préserver de la réception du vélo visiblement bien parti pour achever ses acrobaties via une issue plus favorable.
Mika remonte à toute vitesse (en râlant me semble-t-il).
S'engage alors une espèce de dialogue de sourds :
"- Ça va ?
- Mmmmmmmmmmm Nan !
- T'as mal où ?
- Mmmmmmmmmmm. Je sais pas...
- T'as cogné la tête ?
- Mmmmmmmmmmm Nan
- Les cervicales ?
- Non plus...
- ?????
- La hanche, je me suis peut-être cassée la hanche.
- ???????????? Fais voir ! Ce petit truc là ?? C'est juste une égratignure ! Ça fait mal quand j'appuie ?
- Mmmmm Nan
- Bon ben c'est rien !
- Ah ??? Bon alors.... la main. J'ai mal à la main."
Effectivement, ma main est bien enflée et j'ai des difficultés à bouger mes doigts. Mais cela me paraît complètement dérisoire au regard de la tragédie à laquelle je viens d'échapper ! Je me remets debout sur deux jambes flageolantes, en proie à une forte envie de vomir. En fait, j'ai eu peur. Mais une fois ma lucidité retrouvée, je décide que cet incident ne compromettra pas la fin de notre aventure.
Nous remontons sur les vélos et nous arrêtons un peu plus loin pour la pause de midi. Nous décidons ensuite de nous séparer. Débarrassé de ses tomates et de sa tranche de pastèque, Mika poursuivra comme prévu en altitude par les crêtes. Pour ma part, incapable de piloter, je rejoints la piste. Nous convenons d'un lieu de bivouac pour nous retrouver en soirée. Les jours suivants, en appliquant sur le cintre une pression ferme de la partie bombée de la paume de main, je parviens à rouler en limitant les chocs et les vibrations. Mais dans ces conditions, seule la dernière phalange du majeur et de l'annulaire se referment sur la poignée, assurant un piètre contrôle du vélo. Autant dire que je mets pied à terre à chaque fois que le sentier est un peu technique. Quant au petit doigt, incapable de la moindre flexion, il est livré à lui-même et à la merci des abondantes fougères, ronces et autres végétaux qui bordent les sentiers étroits du pays basque. Chaque accrochage m'arrache un grand "Aaaiiiiiiie!", suivi d'un adjectif qualificatif bien choisi à l'égard de la plante en question."
*
Pour nous alléger, nous avons laissé l'essentiel de la trousse de secours avec nos affaires de marche, si bien que nous n'avons même pas de quoi faire un bandage. Je m'en veux surtout de ne pas nous être imposés de descendre à pied cette pente sans intérêt. En tant d'endroits tout au long de cette traversée des Pyrénées nous avons mesuré les risques d'une mauvaise chute, nous imposant une vigilance accrue dès que cela était un tant soit peu nécessaire. Et voilà qu'à quelques jours de l'arrivée, ce que nous redoutons depuis des semaines se produit. Heureusement, à l'endroit de la chute, aucun risque lié à l'inclinaison du versant.
Nous sommes conscients que l'aventure peut s'arrêter là, à quelques journées de l'océan. Une éventualité que chacun, en son for intérieur, repousse. On ne va de toute façon pas appeler les secours ici, alors que la visibilité n'est pas bonne, que nous ne sommes pas en danger et que nous sommes encore mobiles. Avançons si c'est possible, nous verrons un peu plus loin, à l'endroit où nous devons croiser la petite route transfrontalière du Port de Larrau. On pourra alors descendre facilement rejoindre la civilisation si nécessaire.
On repart doucement, d'abord à pied en poussant les vélos. Sylvie parvient même à le mettre sur son dos dans la traversée raide qui s'ensuit. On est à nouveau dans les nuages, juste sous la crête frontalière, à peine à l'abri du vent froid et ultra humide qui arrive de France.
Sylvie parvient à rouler tant que le sentier n'est pas technique. Aussi ne souhaite-t-elle pas descendre en vallée pour consulter un médecin : trop compliqué, et trop de risques que cela nous éloigne temporairement (peut-être même définitivement) de notre objectif. Aucun de nous deux n'en a envie. Elle va donc rouler 4 jours durant sans pouvoir plier le petit doigt et donc refermer convenablement sa main droite sur la poignée du cintre. C'est clairement handicapant dès que le sentier devient technique et la douleur se ressent avec les vibrations ou lorsque le petit doigt est sollicité. Heureusement, le reste du temps, sur le vélo comme au repos, ça va. On se dit donc qu'on va tenter de terminer la traversée comme cela si la situation ne se détériore pas...
Mais au Portillo de la Pista, il est évident qu'on ne peut décemment poursuivre le long des crêtes (la météo ne nous y pousse pas non plus). Nous quittons le GR12 et descendons un peu sur le versant français jusqu'à rejoindre une piste pastorale traversante... Sur le versant espagnol du Port de Larrau, un sentier part à la première épingle que fait la route. Mieux vaut tout de même que Sylvie ne tente pas le diable, je lui propose de rejoindre le hameau d'Irati en contrebas par la route puis une large piste tandis que je poursuis de mon côté par le GR12. Nous fixons un point de rdv en bas. A un moment, le sommet du Pic d'Orhy semble se dégager, j'hésite un instant à y monter mais la météo et un peu de bon sens m'en dissuadent finalement.
Mon itinéraire est beaucoup plus alambiqué que celui de Sylvie et de plus, je perds du temps à essayer de suivre un itinéraire balisé VTT peu intéressant qui me promène sur un versant boisé au-dessus du torrent d'Irati. Les nuages et la bruine poussés par un vent glacial de nord instillent une ambiance sauvage dans les hêtraies. Nous bivouaquons à l'extrémité nord de l'Embalse de Iradia, en bordure d'un tranquille petit torrent qui fait la frontière entre la France et l'Espagne.
Distance : 54.81km d+:1490m d-:2316m
J2 et 3 : D'Irati à la vallée du Baztan en passant par Roncevaux et la vallée des Aduldes
C'est la partie du Pays basque qui nous a le plus plu.
Ici, le relief devient un peu plus confus dans la mesure où les altitudes des différentes lignes de crêtes sont à peu près équivalentes. Initialement, j'avais été tenté de suivre quelques lignes de crêtes qui filent vers le nord et qui semblent parfois plus incisives que la dorsale principale qui, elle, s'évase progressivement vers l'ouest. Mais il aurait ensuite fallut descendre davantage en plaine pour rattraper la section de crêtes suivante et accepter de progresser selon une trajectoire en créneau avec pas mal de sud-nord et nord-sud. Par simplicité et parce que nous n'avions plus vraiment l'énergie, la santé et le temps nécessaire pour faire « du rab », nous optons finalement pour l'itinéraire de Haute Route Pyrénéenne, qui emprunte ici le GR11.
Il fait un temps superbe et au lieu de monter directement vers le col d'Errozate, on opte pour un peu de cyclotourisme sur une petite route qui fait une boucle sur les croupes des collines versant français. Nous avons l'impression d'avoir été téléportés quelque part en Ecosse !! Mais les toponymes nous ramènent immédiatement au Pays basque : Artxilondo, Intzarazki, Errozate... Hallucinant le nombre de troupeaux de moutons (de chevaux aussi) dans ce secteur. C'est que l'herbe y pousse drue...
Nous apprécions franchement cette partie du Pays basque, tout ce secteur autour d'Irati. Des tapis de bruyères en fleurs occupent un peu tous les versants et donnent une couleur lie-de-vin aux collines. Des sous-bois moussus enjolivent encore des hêtraies magnifiques. La météo est complaisante, il flotte un air océanique, lumineux, limpide qui donne un je ne sais quoi de celtique au voyage. Très différent de ce que nous avons vu jusque là. Bivouac tranquille dans la hêtraie à proximité de Roncevaux et de son abbaye.
La vallée des Aduldes, une sorte d'avancée ou d'enclave du territoire français dans un secteur où l'on a bien du mal à discerner la logique qui prévaut à la frontière entre les 2 pays, est également un joli coin. Collines vertes apaisantes et bâtisses blanches. On arrive au village juste avant la fermeture de l'épicerie et, comme à chaque fois qu'on se réapprovisionne après une presque pénurie de vivres, on dévalise la boutique et on en repart chargés comme des mulets... Rude montée sous le soleil pour atteindre le petit sommet frontalier d'Hargibel et basculer dans la vallée espagnole du Baztan (Elizondo). Nous coupons ici et là, ou empruntons de temps à autre, des sections de la Grande Traversée du Pays Basque à VTT (impression que cet itinéraire emprunte beaucoup les pistes).
On shunte le sommet de la Pena Alba (ultime pointe de la chaîne à dépasser les 1000 mètres d'altitude), vraiment trop caillouteux et dévalons les pentes jusqu'à la petite ville d'Elizondo. Les bâtisses traditionnelles de la vallée du Baztan (pays basque espagnol) sont assez remarquables mais on sent qu'on quitte progressivement les montagnes.
J2 Distance : 36.89km d+:1363m d-:1210m
J3 Distance : 39.13km d+:1242m d-:1891m
J4 et 5 : De la vallée du Baztan à Hendaye-Plage en passant par le col de Lizarrieta, le sommet de la Rhune et le col d'Ibardin
Tout à fait à l'ouest, la chaîne pyrénéenne se prolonge davantage du côté du Pays basque espagnol en une succession de petits massifs de basse altitude qui se poursuivent en direction de la chaîne cantabrique. Mais dans tout ce secteur, les altitudes des petits sommets et collines se valant presque, il est compliqué de répertorier une ligne indiscutablement logique pour atteindre l'Océan. Plus encore ici que les jours précédents, on s'en remet au tracé de la HRP pour nous guider.
Yiiihaa ! Depuis le sommet des collines à l'ouest d'Elizondo, sous la crête de l'Atxuela, nous découvrons enfin l'océan Atlantique sur la ligne d'horizon ! Toujours sur le GR11, on en finit plus d'enchaîner les montées et les descentes. Et on crève la soif : le pays a beau être vert, l'eau n'y coule tout de même pas sur les crêtes. N'en pouvant plus, on fait un détour pour aller puiser un filet d'eau au fond d'un ravin. Juste avant le col de Lizarrieta, on passe au pied des palombières d'Etxalar, haut lieu de la chasse traditionnelle à la palombe.
Puis arrive le moment, en plein milieu d'après-midi, de l'Ultime portage pour accéder au sommet de la Rhune, sommet incontournable car le dernier de la chaîne pyrénéenne. Une belle petite galère que de remonter cette sente qui grimpe le long de la frontière, dans les ajoncs : elle est trop étroite pour pouvoir pousser le vélo et il n'y a pas d'autres moyens que de tenter de se faufiler en crabe, le bike en travers sur le dos sur près de 300 mètres de dénivelé.
Alors qu'on est monté à la Rhune par les sentiers, on choisit d'en descendre par une piste... Parce qu'étant donné la blessure de Sylvie, le sentier qui descend versant nord est trop technique. Et aussi parce qu'il faut accélérer le rythme si l'on veut rejoindre Hendaye le soir même. Mais parvenus au col d'Ibardin, on réalise que ce faisant nous allons arriver à la nuit tombante à l'Océan. Autant faire un dernier bivouac et profiter d'une arrivée en douceur le lendemain.
Le lendemain, une bonne heure après avoir quitté le bivouac et dévalé quelques derniers coteaux le long du GR10, nous longeons la baie de Chigoundy à Hendaye.
Ooooh YES ! Hendaye-Plage !
Atlantique ! 49 jours après avoir quitté la Méditerranée.
On l'a fait ! Sylvie, 5 ans après ta première tentative, tu termines la traversée des Pyrénées. Chapeau miss ! :)
J4 Distance : 43.02km d+:1767m d-:1756m
J5 Distance : 14.89km d+:120m d-:419m
Epilogue
Au retour du périple, une semaine après la chute, la main de Sylvie est toujours bien enflée et aucune amélioration n'est constatée. Elle décide d'aller consulter aux urgences dans les Hautes-Alpes. Les radios sont catégoriques : fracture déplacée du 5ème métacarpe.
Elle se fait opérer le jour même à Gap et ressort de l'hôpital avec 2 broches dans la main et six semaines d'immobilisation. Le personnel hospitalier n'en revient pas quand elle explique qu'elle vient de faire 4 jours de VTT avec la main dans cet état. Solide la miss...
Morale de l'histoire : si nous étions descendus des montagnes pour consulter un médecin, il est évident que nous ne serions jamais remontés sur les crêtes et n'aurions pas fini le trip. Notre mauvais diagnostic a sauvé la fin du voyage...